La circulation de l’information sur les médias sociaux numériques et écologie de l’information. Problèmes : approche par les imaginaires et les représentations - NormanDoc'

La circulation de l’information sur les médias sociaux numériques et écologie de l’information. Problèmes : approche par les imaginaires et les représentations

Problèmes : approche par les imaginaires et les représentations

, par Aline Claudeau, Anne-Sophie Closet, Cyrille Delhaye, Eric Garnier, Frédéric Rabat, Pauline Salles, Sandra Nagel, Sylvia Couvez - Format PDF Enregistrer au format PDF

Certains publics n’ont pas pleinement conscience des potentialités informationnelles et communicationnelles des médias sociaux numériques (MSN).

1. Des pratiques informationnelles non identifiées et dévalorisées
2. Des contenus médiatiques invisibilisés
3. Une certaine conception du social
4. Repérage de la source d’information
5. Effets des paniques médiatiques

1. Des pratiques informationnelles non identifiées et dévalorisées

Constat 1 : les élèves déclarent que leurs pratiques vidéoludiques et informationnelles sur les MSN sont (indifférenciées) étroitement mêlées.

Constat 2 : les élèves affirment ne pas lire la presse alors qu’ils déclarent utiliser la fonction Discover/Découvrir de Snapchat.

Problème : l’entremêlement, voire l’indifférenciation entre pratiques vidéoludiques et pratiques informationnelles renforcée par l’ergonomie des dispositifs, ont un effet sur la conscientisation des pratiques informationnelles qui ne sont pas vécues comme un accroissement du capital culturel.

Dans les discours, le verbe s’informer est volontiers associé aux actualités provenant des médias traditionnels. Cette manière de s’informer est valorisée socialement mais globalement peu pratiquée par les élèves. A contrario, les accès aux informations issues de la sphère privée, et même ceux découlant du réseautage sous la forme d’abonnement (ex. : Discover pour Snapchat), représentent un mode d’accès à l’information qui est dévalorisé dans les discours, qui n’est pas appréhendé comme une participation active et volontaire à l’acte de s’informer (A. Cordier).
Cette dévalorisation repose, notamment, sur le fait que le choix du média/des médias dépend de préférences et d’obligations/injonctions dans les modalités d’accès à l’information.

Formes d’injonctions  :
des injonctions académiques : une supériorité de l’écrit sur l’image, plus légitime socialement car associé à l’idée d’effort cognitif ; l’importance de la mise à distance des affects
VS
des injonctions médiatiques : une préférence pour les formats courts. La temporalité devient un critère discriminant en matière de diffusion de l’information. Cette recherche prioritaire d’une forme, a priori, contraint certains médias (Brut, par exemple) à privilégier l’image en mouvement ; valorisation des affects dans des dispositifs qui intègrent les émotions comme étant constitutives de leur approche du design informationnel (les flammes de Snapchat, par exemple). On peut parler de « digipulation » (Garmon, 2020) ou de « fonctionnalités affectives » (Alloing et Pierre, 2017, 2020)

Divertissement et qualité de l’information
Dans les discours, une conception du divertissement se manifeste, en effet, à travers un rapport particulier avec le dispositif et des attentes particulières en matière de qualité de l’information. Dans le cas du divertissement, il semble que l’utilité de l’information soit considérée comme un élément-clé de la qualité de l’information (Rieh, 2002), de même que ce qui facilite l’accès et le partage : utilisabilité, accessibilité, interaction (Blasco-Lopez, Recuero Virto, J. Aldas Manzano, Cruz Delgado, 2021).La hiérarchie informationnelle et communicationnelle que dessinent ces attentes en matière de qualité sont très différentes des attentes et des hiérarchies déterminées par d’autres contextes, d’autres intentions d’usage (Amadieu, Tricot, 2014) comme les usages scolaires, par exemple.

Divertissement et invisibilisation des pratiques ludo-culturelles
Cette culture du flux (scrolling), ces usages, faits de lectures segmentées, sont très labiles. La disparition anticipée du texte dans un présent renouvelé contribue à faire disparaître la dimension physique, perceptible, de son parcours culturel, comme l’imprimé le permet. La lecture de flux ne se voit pas, ne permet pas de mise en scène domestique d’un capital culturel cumulatif (comme une bibliothèque personnelle, par exemple). En conséquence, cette apparition-disparition du texte a pour conséquence, semble-t-il, que l’écrit numérique n’est pas objectivé de la même manière qu’avec les textes imprimés et que l’on ne lui accorde pas la même valeur (Mauger, 2020).

2. Des contenus médiatiques invisibilisés

Constat 1 : les élèves ne considèrent pas les plateformes qu’ils utilisent comme des dispositifs médiatiques.

Constat 2 : les contenus médiatiques ne sont pas toujours identifiés comme tels par les élèves

Problème : le terme de réseau social numérique ne suffit pas à penser les caractéristiques des plateformes utilisées. Les considérer comme des médias sociaux numériques permet une approche plus exacte des contenus et des pratiques.

Le terme de média doit d’abord être étendu au concept de dispositif (info-communicationnel) socio-technique (social et technique) (Le Deuff, 2013).

Aspects non-perçus de ce qu’est la médiatisation :

• les producteurs de messages sont des acteurs sociaux (les élèves sont bien des acteurs sociaux, représentant aujourd’hui un poids économique et une sphère d’influence très active) ;
• le discours médiatique est une parole publique spécifique (à trois dimensions : technologie de communication, support et source) ;
• les médias publicisent des problèmes sociétaux ; « chaque média structure l’information qu’il véhicule, induit des usages spécifiques et influence notre perception du monde » (WikiNotions. Média) ;
• les contenus produits par les médias d’information et les industries culturelles s’insèrent dans un « développement, plus autonome et désordonné, d’un tissu horizontal de conversations, de partages, de commentaires et de recommandations » (Cardon, 2015).
• Ainsi, le phénomène médiatique des « mêmes » (diffusion exponentielle d’un contenu) est le produit typique d’un écosystème qui favorise des messages brefs, fortement visuels et destinés à « infuser » le plus grand nombre de communautés. Ces mèmes sont produits par des acteurs sociaux qui expriment un regard sur le réel (distancié, amusé, critique, satirique, polémique...).

3. Une certaine conception du social

Constat : les élèves n’ont pas conscience que les propositions communicationnelles des réseaux sociaux numériques imposent leur conception du social, car ils conditionnent l’échange social (Jeanneret, 2000)

Problèmes :

• une tendance à réclamer la création de profils réels (vraies personnes) ;
• l’encouragement de la publicité de soi (publier nos émotions, nos passions, etc.) ;
• une incitation à interagir régulièrement (flammes, likes, cœurs, etc.)

On peut même dire avec Yves Jeanneret (2015) que les dispositifs médiatiques imposent non seulement des techniques mais aussi une manière d’envisager le processus de communication : transparence, immédiateté, publicitarisation de soi, réactivité, etc...

Le concept de « média social numérique » remplace avantageusement celui de réseau social en ce qu’il permet de caractériser plus précisément les enjeux associés, mais il peut aussi être qualifié de « nébuleuse » car il regroupe une pluralité de dispositifs qu’il convient de différencier. Établir une typologie des médias sociaux numériques suppose alors de prendre en compte les caractéristiques techniques des dispositifs et les activités des publics (Stenger et Coutant, 2012). Cette typologie doit permettre notamment de distinguer les types de processus de communication imposés par les différentes plateformes.

On peut retenir trois dimensions dans le cadre d’une tentative de caractérisation et de typologisation des médias sociaux numériques (Ellison, 2001) :

• la création de profils associés à une identité ;
• l’exposition publique de relations ;
• l’accès à des flux de contenus multimédias

L’école doit composer avec les usages déployés par les élèves, qui renvoient à des pratiques non-formelles d’information (PNFI), tout en assumant un rôle éducatif fondamental : distinguer les pratiques « qui relèvent du “savoir ”, celles qui relèvent du “croire”, voire de “croyances collectives” ». (Liquète, 2011). L’autonomisation informationnelle des élèves requiert d’abord de développer une capacité à identifier les caractéristiques des dispositifs utilisés, à saisir les stratégies en jeu, et à appréhender les effets sur l’information diffusée.

4. Repérage de la source d’information

Constat 1 : les élèves n’ont pas conscience de la possibilité de s’informer avec les contenus des flux diffusés par les RSN (Snapchat, cf 1.2 , Instagram, TikTok...).

Constat 2 : la ligne éditoriale des médias « traditionnels » est invisibilisée, uniformisée par l’interface du dispositif où elle se manifeste.

Problème : une des conséquences de l’invisibilisation du média est la perturbation du repérage de la source de l’information, une activité qui est d’ailleurs rarement jugée essentielle par les élèves.

On peut prendre pour exemple l’invisibilisation de la source des comptes Twitter de type Brèves de presse ou Alertes infos qui, en apparence, ne font que relayer des dépêches, ainsi que l’apparence ludique des contenus de type Brut, pensés selon les codes en usage sur les MSN (durée, dynamique, ton adopté...).

Un exemple donné avec le concept de Régime intermédiatique : DidacSic « Comment amener les élèves à habiter un régime intermédiatique ? Situations d’apprentissage. Situation pédagogique 1 : Lire la presse aujourd’hui : usages et pratiques. »

De ce fait, l’absence de repérage des sources agrégées à partir du réseau étendu à vocation communautaire, qu’il s’agisse d’influenceurs, de médias traditionnels, etc, est récurrente.

Ainsi, alors que la mise en visibilité de contenu est une des motivations des usagers pour produire du contenu sur les médias sociaux numériques (Coutant et stengler, 2011 ; Lafon, 2017), le phénomène de flux, la fragmentation en bribes et les « stratégies d’effacement » des sources de la part de certaines plateformes (Broudoux et Ihadjadene, 2020) sont à analyser pour comprendre les phénomènes d’invisibilisation.

5. Effets des paniques médiatiques

Constat 1 : beaucoup d’élèves déclarent ne pas aller, ou très peu, sur Facebook, un réseau qui ne leur ressemblerait plus. Un effet de mode suffit-il à expliquer le phénomène ? Le choix refuge d’applications comme Snapchat qui véhiculent un imaginaire de la disparition, de l’invisibilisation ( et donc d’une protection supposée) peut être envisagé comme un symptôme de ce rejet.

Constat 2 : les paniques liées aux imaginaires des adultes (à propos de Wikipédia notamment) influent sur les discours déclarés des élèves.

Problèmes : d’un côté, l’investissement imaginaire des dispositifs par les jeunes publics est porté par une recherche de l’échange, du partage et du jeu en mode autotélique (dédié au plaisir). De l’autre, les discours liés aux “dangers d’internet” (selon la formule souvent utilisée pour désigner les phénomènes de rumeurs, discours de haine, cyberharcèlement, usurpation d’identité…) et la conscience du risque d’être confronté à des contenus non-désirés peuvent entraîner une déception, voire une défiance, sans pour autant conduire à une évolution des pratiques.

Selon Divina Frau-Meigs, les « paniques médiatiques » récurrentes :

 traduisent un ensemble de manifestations sociales issues de la confrontation des publics avec la communication numérique et ses incertitudes. Ces manifestations sont observables et analysables de manière critique ;
 sont portées par des discours médiatiques qu’il convient d’analyser dans le cadre d’une éducation aux médias et à l’information ;
 permettent d’envisager la dimension processuelle du social. Dès lors que l’on considère que la présence numérique s’inscrit dans la durée, on peut en effet parler de « socialisation » plutôt que de social. C’est au sein de ce processus de socialisation que s’opère une mise à distance réflexive progressive du risque (Frau-Meigs, 2011).

Les travaux de Maria Lucília Marcos (2017) soulignent par ailleurs que la socialisation s’expérimente par la mise en tension de formes d’expression contradictoires et que ce mode tensionnel est présent dans toutes les activités humaines.

On peut envisager, pour relativiser le rapport des élèves à ces paniques, de les mettre en perspective en montrant
qu’elles ne sont ni nouvelles, ni spécifiques au web et aux médias sociaux numériques.

Concepts liés :

Dispositif info-communicationnel (ou socio-technique), Média, Média social, Information (information-connaissance, information-donnée et pas uniquement information d’actualité), Évaluation de la source, Évaluation de l’information