La circulation de l’information sur les médias sociaux numériques et écologie de l’information : introduction - NormanDoc'

La circulation de l’information sur les médias sociaux numériques et écologie de l’information : introduction

, par Anne-Sophie Closet - Format PDF Enregistrer au format PDF

Le choix du sujet traité cette année par le groupe DidacSIC a été motivé par les demandes en formation continue des professeur.e.s documentalistes du périmètre rouennais de l’académie. La problématique définie permet d’aborder la circulation de l’information à travers une pluralité de dispositifs, de pratiques et d’acteurs. La perspective écologique proposée, comprise en tant que démarche, consiste à prendre appui sur les pratiques des élèves au sein de l’écosystème informationnel dans lequel ils évoluent afin de donner les clés de compréhension nécessaires et développer un pouvoir d’agir.

Les contours scientifiques de la problématique

Au centre du champ exploré, les concepts d’espace(s), de temporalité(s), d’identité(s), de source d’information et les dynamiques socio-techniques qui s’expriment, tant au niveau de la diffusion de l’information que de la configuration des dispositifs eux-mêmes. Du traçage des données aux enclosures et aux stratégies de valorisation mises en place, des modes d’expression utilisés aux trajectoires argumentatives déployées dans le cadre de controverses, de l’information diffusée en flux à la responsabilité et à l’autorité des sources interrogées, la problématique invite à analyser les effets des médiations opérées par ces dispositifs sur l’information diffusée et son appréhension. Sur ce point, il nous semble utile de préciser que le concept d’Information n’est pas abordé sous le prisme de l’actualité, mais avant tout comme une donnée qui fait sens pour un individu et qui est susceptible d’enrichir ses connaissances. En conséquence, savoir s’informer et informer avec les médias sociaux numériques suppose de mobiliser des capacités cognitives et d’acquérir un bagage culturel conséquent, tant pour appréhender les intérêts et les rapports de force en jeu que pour comprendre l’utilité et la valeur de l’information. Les enjeux liés à la problématique sont donc multiples et l’émancipation informationnelle des élèves engage non seulement le développement d’une pensée critique mais aussi d’un pouvoir d’agir, en conscience.

Des problèmes aux situations d’enseignement-apprentissage

Au regard des postures à construire et des capacités à développer, problématiser le rapport aux médias sociaux numériques et à l’information donne du sens aux apprentissages et fournit les clés nécessaires pour la compréhension et l’action. Cela suppose d’abord que soient identifiés les problèmes auxquels sont confrontés les élèves et qui représentent, à la fois, des obstacles et des leviers. Au centre de la construction didactique, les problèmes servent alors de points d’appui pour définir les objectifs d’apprentissage et les modalités de mise en œuvre pédagogique.
Du côté des dispositifs, les dimensions technique et sociale étant étroitement liées, les problèmes relevés découlent de l’ensemble des interactions opérées par les acteurs mobilisés, qu’ils soient usagers ou issus des industries médiatiques. Au centre de la réflexion, le concept de « participation » comme idéologie à démasquer et culture à développer, illustre les dynamiques socio-techniques en jeu. L’énonciation, qu’elle soit éditoriale ou dis-
discursive, peut ainsi constituer, à travers les stratégies de reconnaissance et d’influence mises en place, l’éparpillement et la discontinuité de l’information diffusée en flux et les régimes d’expression utilisés, une entrée possible pour définir les problèmes posés. Les concepts de Media (en tant que dispositif socio-technique) et de Source d’information, constituent alors les concepts clés.
L’écosystème informationnel des élèves représente une entrée complémentaire et indissociable de l’approche précédente. Le concept d’écosystème renvoie aux pratiques, considérées sur les plans individuel et collectif, et aux contextes (social, linguistique, matériel, technique...) dans lesquels elles se déploient. Identifier les problèmes posés, des croyances partagées aux biais qui empêchent d’objectiver et aux formes personnelles de « bricolage », demande alors de prendre en compte les dimensions cognitive, émotionnelle et pragmatique des pratiques en situation. Les problèmes relevés sont alors relatifs aux capacités mobilisées : reconnaître les outils utilisés en tant que médias et saisir les stratégies et les principes qui régissent leur fonctionnement, identifier et évaluer les sources d’information, reconnaître les régimes d’expression employés, appréhender et maîtriser les formats de la communication numérique et médiatique...
Cette double entrée s’est imposée pour identifier les problèmes et les regrouper selon trois approches : l’approche par les imaginaires et les représentations ; l’approche formelle des dispositifs (de l’énonciation éditoriale aux régimes d’expression ) et l’approche politique (des idéologies véhiculées et des intérêts en jeu au pouvoir d’agir).

Si nos travaux ont essentiellement porté en 2021 sur les problèmes, nous avons pu repérer quelques éléments et des pistes d’action susceptibles de contribuer à une réflexion sur la construction de séquences d’enseignement-apprentissage. Cette réflexion fera l’objet d’approfondissements en 2022 avec une proposition de situations d’enseignement-apprentissage.

Ainsi, amener les élèves à comprendre les implications des usages qu’ils font des médias sociaux numériques dans tous les contextes de déploiement qui sont les leurs, suppose de prendre appui sur les pratiques, sans les diaboliser ou les légitimer, et sans chercher à les orienter ou à les formater. L’objectif est donc de provoquer le questionnement, tant sur les démarches et les stratégies utilisées que sur les dispositifs eux-mêmes et l’information diffusée. La verbalisation est alors essentielle, pour révéler les manières de faire et pour que des ponts soient établis entre les imaginaires ou les connaissances « déjà là » et les savoirs à construire.
A partir d’une controverse, mettre en avant la démarche d’investigation est ainsi une piste à explorer et une condition première pour interroger les sources et développer une argumentation étayée. Cette démarche, que l’on peut rapprocher de celle du chercheur, est fondée sur l’acquisition d’une méthode et vise le développement d’une pensée rationnelle. La place du doute est centrale. Sur ce point, il nous semble utile de préciser que la démarche scientifique interroge, de fait, le concept de vérité. D’une part, parce que la science fonctionne par controverses dites scientifiques, et d’autre part parce que la vérité a « vocation à être partagée, discutée, interrogée. Autrement dit, à devenir « affaire publique » » (Klein, 2020). Amener les élèves à adopter une attitude ouverte est donc une nécessité, tant pour leur faire prendre conscience de certains biais qui empêchent d’objectiver, que pour leur permettre d’appréhender la diversité des points de vue sur un sujet qui fait débat. Ces questionnements interrogent également la pertinence d’une approche par les faits pour évaluer l’information, que ce soit par le biais du « fact cheking » ou par celui des « fake news ». En effet, s’il faut distinguer un fait « brut », observé dans la réalité, du fait scientifique qui n’est pas nécessairement observable, il convient aussi de prendre en compte qu’un fait ne prend sens que dans un contexte historique. Le fait scientifique est ainsi construit, à un moment donné, par des chercheurs regroupés en des « collectifs de pensée », chaque collectif ayant par ailleurs, des pratiques et une conceptualité particulières. La pratique du « fact checking », qui consiste à considérer un fait d’actualité comme une preuve, semble donc conduire à une impasse. Enfin, questionner les sources et les autorités ne suppose pas pour autant d’aborder systématiquement l’évaluation de l’information sur les médias sociaux numériques sous le prisme du mensonge et des intentions malveillantes. Il convient ainsi de différencier la défiance de la pensée critique qui place le doute et la démarche d’investigation au centre de la réflexion. Cette attitude de défiance, qui tend par ailleurs à se généraliser avec les conversations sur les réseaux sociaux numériques, aboutit à une remise en cause systématique des sources susceptibles de diffuser des messages porteurs d’information, et en premier lieu des professionnels de l’information.
L’apprentissage du débat, qui met en avant une culture de la participation fondée sur les valeurs d’altérité et de réciprocité, est une autre piste à explorer. Mais c’est aussi par la capacité à collaborer pour un projet commun, que l’on peut développer un pouvoir d’agir, à un niveau individuel et collectif. Sur le plan pédagogique, le dialogue instauré entre les élèves engagés dans l’action permet, par la négociation et la décentration, de dégager des figures de sens qui participent à la co-construction des savoirs et au déploiement de compétences informationnelles. D’autre part, la dimension citoyenne convoquée par le pouvoir d’agir se traduit, à travers la mise en œuvre d’un projet collaboratif, par la capacité à s’engager au service du collectif. S’appuyer sur des intérêts partagés pour développer une culture de la contribution, par le biais de pratiques de curation ou de partage de connaissances, permet alors de faire prendre conscience aux élèves que l’information est un bien commun dont il faut prendre soin.

Présentation des documents produits en 2021

Le cadrage scientifique comprend l’explication des principaux concepts sur lesquels nous nous sommes appuyé.e.s pour définir les problèmes. Un résumé, précédé de mots-clés, constitue la première partie. Le développement proposé dans la seconde partie est composée d’un cadrage des termes de la problématique et d’une présentation des concepts liés. Une bibliographie est donnée en fin de document.

Les problèmes présentés sont regroupés selon trois approches inspirées des travaux d’Yves Jeanneret (2000) : l’approche par les imaginaires et les représentations ; l’approche formelle des dispositifs et l’approche politique. Les « aspects » développés dans chaque approche permettent de préciser les contours des problèmes identifiés à partir de constats effectués et d’exemples donnés. Des concepts info-documentaires, liés aux problèmes exposés, sont précisés à la fin de chaque approche. Pour faciliter la lecture, les trois approches sont présentées dans des documents distincts.

Nous vous souhaitons une bonne lecture.

Anne-Sophie Closet